Au pied du mur
Elle est arrivée en septembre, au moment où la machine repartait sur un rythme plus fou encore qu’avant l’été. Depuis, elle court, essayant d’apprendre et de comprendre les rouages cachés, et tout ce qu’on n’a pas eu le temps ou le désir de lui apprendre pour qu’elle puisse faire son travail correctement. On s’est d’abord croisées dans un couloir, mais il a fallu quelques semaines encore pour que nous existions l’une pour l’autre.
C’est un travail, fait à la place d’une autre, qui ne s’était pas vantée de sa forfaiture mais avait été démasquée par de moins gênés que moi, qui l’a intriguée. Elle a gardé pour elle ses questions, un peu moins sa surprise, et m’a proposé que l’on déjeune ensemble, un jour. Un agenda chargé, du travail à ne pas savoir qu’en faire - 2007 s’est terminé sans que nous soyons passées à l’acte.
Et puis, pendant mon absence, elle a appris ma réussite à un concours, et ma décision de chercher, ailleurs, ce que je savais ne pas pouvoir trouver là où j’étais. Deux jours après mon retour, le rendez-vous était fixé.
Déjeuner en quatuor, finalement, un peu surréaliste, chacun découvrant le petit monde que nous sommes censés partager à travers un autre prisme, et s’apercevant que nous vivons sur des planètes qui n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Triste constat…
De mes projets futurs, il fut également question. Je choisis la confiance, et parlai librement de mes désillusions, de mon absence de perspectives. Je les vis se regarder, les entendis réfléchir à voix haute, parler changement de hiérarchie, détachement, travail en collaboration… J’aurais aimé les croire ; je ne vis que les obstacles.
Deux semaines plus tard, j’ai décroché un téléphone qui sonnait dans le vide. J’ai voulu transférer l’appel, et on m’a répondu d’attendre, que cela me concernait aussi, puisque j'étais chargée d'une partie du projet. Surprise. Ces missions-là ne relèvent pas d'ordinaire de mes fonctions.
Deux heures et trois appels plus tard, le mystère s’était éclairci.
Elle a tenu parole, et pose des jalons pour la suite. Elle ne veut pas que je parte ailleurs, et me le fait savoir, sans paroles, parce que certains actes en disent bien plus que des mots. Maintenant, la balle est dans mon camp.
La mission qui m’est confiée ne m’est pas totalement inconnue. Il y a quelques années, au cours d’une vie dans laquelle je n’avais pas encore appris que j’étais nulle, et que rien de ce que je pouvais faire ne saurait être bien, j’avais fait mes premières gammes. Aujourd’hui, saurai-je me souvenir de ce solfège pour composer la sonate dont on m’a passé commande ? Saurai-je me montrer digne de l’intérêt que j’ai suscité, digne des espoirs qu’on a placés en moi, digne, aussi, des risques qu’on a pris ce faisant ? "A la hauteur", une fois encore…
Quand réussirai-je donc à (re ?) construire un peu de confiance en moi-même ?...