La douleur d'être mère
Nous avions espéré les semer en quittant Paris. Nous avions rêvé que, comme la chatte, elles ne se sentiraient bien que dans cet appartement familier, et qu'elles préfèreraient nous y attendre.
Nous nous étions trompés.
Elles nous ont accompagnés. Et l'air de la province a semblé leur réussir.
Depuis dix jours, nous regardons avec désespoir l'Acrobate se tordre et hurler sa douleur, plusieurs fois par jour, dans un sinistre ballet qui nous laisse tous trois épuisés, chancelants.
Il a à nouveau fallu composer avec les conseils et les remarques des uns et des autres, de ceux à qui il est difficile de dire certain mot attribué à Cambronne parce qu'ils sont trop proches, parce que la morale occidentale veut qu'on leur doive le respect, en toutes circonstances.
Il a à nouveau fallu puiser dans nos réserves de patience et d'énergie, jusqu'à des niveaux insoupçonnés, pour faire face de notre mieux aux crises, diurnes et nocturnes.
Et quand la situation est devenu par trop insoutenable, il a fallu retenir de son mieux ses larmes pour appeler le pédiatre parisien, celui qui, par chance, était de garde ce samedi-là, et noter le traitement recommandé.
Cela n'aura pas suffi.
Lundi matin, après une nuit de cauchemar, une gentille secrétaire médicale m'a dit, "venez pour 17 heures. Le carnet de rendez-vous est plein, mais je vous ferai recevoir". Deux cent cinquante kilomètres et un voyage épique plus tard, c'est un Acrobate gazouillant qui a été examiné par une toute aussi gentille doctoresse. Bébé en pleine forme, aucune malformation décelable, aucun problème particulier à signaler... sinon de très sévères coliques du nourrisson. Rien à faire d'autre qu'attendre, et essayer de le soulager un peu en continuant à nous en occuper comme nous le faisions, et en lui administrant le traitement indiqué par le pédiatre.
Mais la bataille a fait des dommages collatéraux. Si l'Amoureux est fatigué, exténué, sa Hérissonne est quant à elle lessivée, littéralement épuisée.
Et hier soir, après une journée passée à voir le petit Acrobate s'énerver à chaque tétée et crier son insatisfaction de ne pas trouver à cette source qu'il croyait intarissable la nourriture qu'il y cherchait, après une douche, accroupie au fond de la baignoire à pleurer toutes les larmes de mon corps de peine et de fatigue et de frustration et de culpabilité, hier soir, je me suis résolue à rappeler la gentille doctoresse, et à noter les possibles marques de lait maternisé qu'elle me recommandait de lui donner, en complément, le temps que je récupère un peu.
Hier soir, en larmes, j'ai essayé de ne pas entendre les cris de surprise de mon fils à qui une autre donnait un biberon de lait qui n'était pas le mien, et qui a enfin apaisé sa faim...