Le courrier, déposé au bureau de poste samedi matin, ne partira pourtant que lundi : nous avons raté la levée. Officiellement, ma lettre arrivera donc trop tard pour pouvoir prendre effet comme je le souhaite. Mais, là-bas, ils sont prévenus, et la jeune femme chargée du suivi des arrêts m'en a assurée vendredi, quand j'ai découvert que je ne disposais pas de cinq semaines encore pour me décider, mais de vingt-quatre heures à peine : "Oh, du moment qu'elle arrive en début de semaine, ce n'est pas bien grave !"
Alors, vendredi soir, au retour d'une longue journée de travail pour l'Amoureux, la décision, déjà évoquée auparavant, et laissée en suspens, a cette fois été prise, ensemble : nous n'attendrons pas une hypothétique et improbable place en crèche au printemps. Notre petit Acrobate restera à la maison avec sa maman six mois de plus. Ou sa maman, avec le petit Acrobate. "Congé parental d'éducation". Reste à déterminer qui éduque l'autre...
Ai-je le droit de dire qu'elle m'a fait peur, cette décision ? Oh ! pas tant pour l'aspect "mère au foyer". Je ne crois pas que ce serait un choix de vie judicieux pour moi dans le long terme, mais pour six mois, six mois de printemps et d'été, six mois de jours qui rallongent et embellissent, six mois à regarder s'éveiller à la vie mon tout, tout petit bébé, je ne me pose pas trop de questions. Il en irait peut-être autrement si j'avais un travail passionnant et épanouissant, ou si je savais que mon absence laisserait un vide tel au sein de l'équipe que c'en serait un réel problème. Je sais que ce n'est pas le cas, pas au plan professionnel en tout cas.
Financièrement, la solution ne nous reviendra vraisemblablement pas plus cher que la crèche : le salaire de l'Amoureux étant bien supérieur au mien, nous relèverions sûrement d'une des tranches les plus élevées du quotient familial. Il est donc probable que le coût de la crèche serait à peu près le même que le manque à gagner entre mon petit salaire et les allocations versées par la CAF pour les six premiers mois du congé parental. Seule différence (mais qui, psychologiquement, fait toute la différence) : au lieu que les sous rentrent des deux côtés, et que ce soit un chèque tiré sur le compte commun qui vienne nous soulager des frais de garde du bébé, ledit compte commun sera "seulement" moins alimenté de mon côté, faisant peser l'essentiel des charges financières sur les seules épaules de l'Amoureux. On est d'accord, au final, le résultat est à peu près le même - mais dans ma tête, c'est très différent, déjà...
Alors ? pas de regrets d'un point de vue professionnel (au contraire, cette parenthèse devrait aussi me permettre de mettre les choses à plat de ce côté-là, et de chercher un nouveau poste, plus en adéquation avec mes attentes et mes besoins), pas de différence au niveau financier... Où est donc le problème ?
Non, ce qui m'a fait peur, c'est le regard de l'Amoureux sur ce "rab de congés". Fantasme négatif né de mon histoire passée, à l'ombre d'un homme vénéneux, qui avait érigé au rang d'art le dénigrement de l'autre.
Alors, dans ses yeux, j'ai eu peur de lire "parasite", ou "mère poule". Dans ses yeux, j'ai eu peur de lire une critique, un jugement.
Il m'aura fallu insister pour discuter de ce choix avec lui, entendant dans son acceptation rapide (trop rapide ?) une résignation à une solution qui lui aurait été imposée. Il m'aura fallu lui dire mes peurs et mes craintes, lui parler à nouveau des fantômes qui hantent encore mon coeur et ma tête, il m'aura fallu accepter une nouvelle fois de m'ouvrir, de me livrer en confiance.
Et une nouvelle fois, ses bras se sont ouverts pour accueillir ma peine et mes pleurs, et son coeur a répondu au mien, pour me dire que si la conversation se terminait si rapidement, ce n'était pas parce qu'il la fuyait ou qu'il subissait, mais tout simplement parce qu'elle n'avait pas lieu d'être à ses yeux, que plus il y avait pensé, et plus cette solution lui avait paru être la meilleure, pour l'Acrobate, pour moi, et pour lui, qu'il était soulagé de savoir notre fils avec moi pour six mois de plus, plutôt qu'avec des étrangers, heureux de savoir que nous pourrions passer un peu plus de temps tous ensemble aux prochaines vacances, qu'avec un peu de chance, ce serait aussi l'occasion pour moi de reprendre pied dans la vie professionnelle dans de meilleures conditions...
En septembre, je laisserai mon fils à la garde de quelqu'un d'autre. D'ici-là... D'ici-là, je compte bien vivre sur un autre rythme, celui de sa vie qui commence, et engranger les moments de bonheur, comme autant de doux et chauds petits cailloux à garder dans ma poche et à faire couler entre mes doigts des jours moins roses...