Vénus callipyge
Il paraît que je ne constitue en rien un cas particulier, que c'est un sentiment commun à toutes les femmes qui partagent ma condition actuelle. Il paraît aussi que je finirai par m'y habituer, ou peut-être, plutôt, par relativiser, au fur et à mesure que la chose empirera. Mais pour l'instant, rien n'y fait : je ne parviens pas à faire mien ce corps alourdi, adipeux, molasson, ce corps flasque et gonflé, qui ne ressemble en rien à l'image que je me fais de celui d'une femme enceinte. Et j'en souffre.
Je n'ai jamais été svelte. Ou plutôt, si, mais il y a si longtemps
que cette époque appartient pour moi à une autre vie. A 16 ans, je me
souviens que je souffrais déjà des quelques centaines de grammes
supplémentaires que mon corps affichait par rapport à ceux des autres
filles de la bande que je fréquentais alors. Avec le temps, les
quelques centaines de grammes se sont mués en quelques kilogrammes,
puis en une dizaine, une douzaine, une quinzaine de kilos. Un jour de
désespoir, un jour de trop grand dégoût de moi, j'ai sauté le pas, et
je suis allée consulter. J'ai appris alors que ce surpoids n'était pas
uniquement de mon fait, mais tenait pour une large part à un
dysfonctionnement de mon organisme. Que ma gourmandise légendaire,
trait familial marqué, n'arrangeait évidemment en rien.
La bataille
contre mes kilos en trop a alors commencé. J'en suis sortie
victorieuse, après plusieurs mois d'une lutte acharnée, mais consciente
que la victoire serait éphémère. Et graduellement, les kilos sont
revenus ; pour ralentir ce processus, il faudrait que je raye
définitivement de mon vocabulaire alimentaire les mots "sucre",
"fruits", "chocolat", et autres douceurs du même acabit. Je n'y
parviens pas. Pas encore en tout cas.
Alors j'ai commencé ma grossesse avec quelques kilos en trop -
disons entre 7 et 9, selon qu'on est plus ou moins exigeant. J'ai eu la
chance de ne pas souffrir de nausées pendant ces trois premiers mois.
Et donc la "malchance" de ne pas perdre de poids pendant les premières
semaines, à l'inverse de beaucoup de femmes. Aujourd'hui, ma balance
affiche +3,5 kilos par rapport à mon poids initial. C'est-à-dire
quasiment le double de ce que j'aurais dû prendre. Et cela va sûrement
sembler d'une superficialité atterrante à certains, mais OUI, je m'en
inquiète, et surtout, OUI, j'en souffre.
Ma mère, mes amies,
compatissantes, me parlent de leurs propres grossesse, en me racontant
comment elles ont arrêté de se peser une fois arrivées à +18 kilos. Ma
mère, mes amies, compatissantes, font partie de ces catégories de
femmes haïssables communément appelées "lianes", "vraies maigres" ou
"fausses maigres", mais sûrement pas membres de la famille "tendance
marquée à l'embonpoint", comme moi. Ma mère, mes amies, compatissantes,
étaient toutes d'une sveltesse de haricot vert avant d'être enceintes ;
autant dire que les 10 premiers kilos qu'elles ont pris leur ont tout
juste permis de retrouver la norme à laquelle est asujettie la plupart
des autres femmes, à savoir "se dit en se regardant dans la glace
qu'elle pourrait judicieusement perdre un ou deux kilos... voire même
trois ou quatre ou cinq !". Bref : ma mère, mes amies, compatissantes,
ne me sont d'aucun secours.
Alors oui, il y a plus grave, et j'ai sûrement tort de me plaindre, moi qui ne souffre de quasiment aucun des "petits ou grands maux" d'ordinaire associés à la grossesse. Mais, si je m'inquiète pour mon propre bien-être physique et psychique (toute femme qui s'est trouvée confrontée à un problème de poids, en excès ou en manque, et donc à la question de son image, saura sûrement de quoi je parle), je m'inquiète aussi pour cet enfant que je porte, et que mon surpoids risque de pénaliser dès sa vie intra-utérine. Et le découragement me prend, avec la sempiternelle ribambelle de questions idiotes de la nullipare, au premier rang desquelles le fameux "mais est-ce que je vais savoir m'y prendre correctement ?"...
Lassitude...