Hors du temps
Trois heures et demi du matin, je ne dors plus, pour autant que l'on puisse appeler "dormir" la somnolence agitée qui m'a tenu lieu de sommeil ces trois dernières heures. Le chauffage (central et capricieux) est mal réglé, j'ai trop chaud sous ma couette, froid sans. J'ai du mal à respirer librement, et puis, surtout, je m'inquiète pour Madame Chat.
Demain soir, cela fera un mois qu'elle a rejoint mon petit palais, et j'ai l'impression de n'avoir toujours pas trouvé le "mode d'emploi". Elle reste cachée derrière mon canapé-lit, que je laisse du coup déplié en permanence, et en journée, n'en sort que le bout du museau, quand je l'appâte avec un morceau de jambon de poulet. Il y a eu des périodes plus fastes, pourtant, où elle venait chercher l'attention, frottait sa tête à ma main quand je glissais celle-ci dans son repaire. Mais depuis quelques jours, elle se terre, sans que j'arrive à comprendre ce qui peut se passer ; trois pas en avant, trois pas en arrière... Elle attend que j'éteigne la lumière pour filer jusqu'à la salle de bains, dans laquelle se trouvent ses gamelles et sa maison de toilette - et pour peu que je bouge, ou qu'elle voie que j'ai les yeux ouverts et que je la regarde, pour peu que je tente une parole, elle se carapate et retourne immédiatement dans son terrier. Indice révélateur : les seules photos que j'aie d'elle datent de son premier jour ici, quand elle s'était réfugiée dans la salle de bains ; la curiosité et le besoin d'être rassurée l'avaient sans doute incitée à sortir un peu plus longtemps de sa cachette qu'elle ne l'a fait ensuite...
Je ne connais pas toute l'histoire de ses 18 mois de vie, mais je sais que celle-ci a été drôle moins souvent qu'à son tour. Alors peut-être a-t-elle besoin de plus de temps pour se sentir en paix ? Peut-être ne s'apprivoisera-t-elle jamais vraiment ? Je ne dis pas que je n'aurais pas envie qu'elle puisse se montrer plus câline, mais je pourrais me faire à cette distance. Ce n'est pas vraiment cela, le problème. Au fond, il n'y aurait qu'elle et moi dans l'équation, je m'inquièterais peut-être moins. Mais ce n'est pas le cas : voilà trois semaines que mon vieux compagnon est parti "en pension", et si je ne me fais aucune inquiètude quant aux traitements terribles et terrifiants qui peuvent lui être réservés là-bas :-), j'ai de la peine à chaque fois que je repars en le laissant derrière moi, et que je vois ses yeux tous tristes. Depuis quelques jours, avec ma nouvelle compagne broncho-sinusale, la séparation est totale, et il paraît qu'il me cherche, allant se coucher près des quelques affaires que j'ai laissées là-bas pour lui dire que je ne l'abandonnais pas, que ce n'était qu'une mesure temporaire, le temps que la demoiselle trouve ses marques, et que je reviendrais vite (!!) le chercher.
Combien de temps puis-je encore lui infliger, nous infliger cette situation ? Si j'étais sûre de l'issue de l'expérience, je mettrais ma mauvaise conscience au panier : c'est une crème de chien que Monsieur Chien, et je sais que son "abandon" serait vite oublié, et pardonné plus vite encore. Mais si la sociabilisation de Madame Chat atteint ses limites, comment allons-nous réussir à gérer la situation ? Il faudra bien qu'il rentre à la maison, et dans mon tout petit chez-moi, si elle panique dès qu'ils sont dans la même pièce, ça va vite devenir invivable pour tout le monde...
Alors je rumine. Je pèse, j'envisage, en essayant de ne laisser ni la fatigue, ni le découragement qu'elle entraîne m'influencer. Je mets à profit ces heures d'insomnie pour répertorier les possibilités : attendre encore avant de le faire revenir, profiter de ce que je suis à la maison pour quelques jours pour au contraire le ramener, et pouvoir ainsi surveiller la situation, renoncer tout de suite et chercher une autre maison, peut-être plus adaptée, à cette petite chatte que j'aime, pourtant, et dont, justement, je souhaiterais qu'elle puisse enfin avoir une vie plus douce que ce qu'elle a connu jusqu'à présent ?
Je l'entends qui joue derrière mon lit. Elle s'interrompt, miaule, comme pour m'appeler, mais si je lui réponds, seul le silence me fait écho... Peut-être n'est-ce que ce qu'elle cherche ? l'assurance que je suis là, qu'elle n'est pas seule, que ce soit à ses yeux un bien ou un mal...
Je suis perdue...
21h00 : edit du soir, espoir...
Après la traditionnelle dégustation de jambon de poulet du début de soirée, elle s'est tout à coup montrée câline, câline comme elle ne l'avait pas été depuis ce premier soir. Oh, pas au point de sortir de sa cachette, c'est moi qui ai dû me contorsionner pour étendre la main le plus loin possible dans son antre. Mais quelle récompense de la sentir ronronner, venir chercher les caresses, s'éloigner, se rouler sur le dos, revenir vers moi en pétrissant le mur de bien-être !...
Et puis la surprise : pendant le dîner, tout à coup, un "meooowwww ?" interrogatif : une requête ? J'ai répondu, suis revenue me coucher devant le lit, ai à nouveau étendu ma main, ai patienté quelques minutes, et puis soudainement, alors qu'elle était encore à une bonne vingtaine de centimètres de mes doigts, les ronronnements, et quelques dizaines de secondes plus tard, le lever brutal pour se précipiter contre ma main, chercher les gratouilles et les caresses.
Après quelques minutes de ce traitement, je me suis assise, le dos endolori par la position inconfortable. Et à nouveau, un miaulement - grande nouvelle du jour, Mademoiselle peut donc réclamer des câlins !
Et tout ça, ça fait un joli petit tas de cailloux-Telle virtuels ! ;-)
Mais en attendant, ça ne résoud pas mon dilemme, bien au contraire... :-/